« Vous savez, ce n’est que maintenant que je me rends compte du courage que j’avais. Quand je regarde en arrière, il m’arrive de me demander ‘mais comment ai-je pu faire tout cela ? »
Parce que treize ans de cela, tout était différent chez les Aliphon. Déjà heureux parents d’une petite fille, Géraldine et son mari rêvaient d’avoir un fils. Un homme, une femme, une fille, un fils. Une petite famille complète, parfaite. Le rêve se concrétise ; Géraldine accouche d’un petit garçon.
« C’était l’effervescence, d’autant plus qu’il était le premier petit fils de la famille. Il était choyé par tout le monde. »
La maison retentit de nouveau des pleurs d’un bébé et les Aliphon sont ravis. Pour ce petit bout de chou, Géraldine et son mari tissent déjà des rêves. Un mois, deux mois, trois mois, quatre mois… Les mois passent et les rêves grandissent. Les mois passent et on envisage déjà une vie normale à quatre. Cinq, six, sept, huit mois et on est toujours aussi plein d’espoir, on a toujours le regard braqué vers l’avenir. C’est lorsque Evans a 14 ou 15 mois que Géraldine et son mari commencent à avoir des doutes.
« Il est tout à coup devenu silencieux. Il était plus renfermé, il ne nous regardait pas dans les yeux. Nous voyions qu’il y avait une différence ; que son développement était différent de celui de sa sœur. »
La joie initiale laisse place à une certaine angoisse. Et si leur fils n’était pas normal ? Le doute plane, les questions se bousculent dans leur tête. La réponse, Géraldine la trouvera en feuilletant un dictionnaire médical.
« Je feuilletais le dictionnaire et comme autisme commence par un ‘a’, dès les premières pages, je suis tombée dessus. Et tout de suite j’ai su. Tout de suite je me suis dite ‘voilà c’est ça !’ »
Autiste ? Evans ? Le dictionnaire toujours en main, le cœur battant, elle appelle son mari. Elle lui parle de ce qu’elle a lu, elle lui parle des symptômes… Il partage le même avis qu’elle ; leur petit bébé est peut-être autiste. Ils le sentent, ils le savent. Mais il reste quand même une toute petite lueur d’espoir. Toute mince, toute fragile. Telle une épée de Damoclès, le diagnostic de l’autisme menace de tomber. Tout en étant suspendue, cette épée fait peur. Et même s’ils ont peur, les parents d’Evans savent qu’ils doivent agir. Ils se renseignent, ils posent des questions à leur entourage.
« On a pas tardé à demander de l’aide. On ne savait trop à qui s’adresser mais finalement l’ami de mon mari avait une amie, une Suisse qui travaillait avec les enfants autistes. Nous sommes allés la voir. Elle a procédé à une évaluation basique, puis nous avons été à l’APEIM. Le diagnostic est tombé ; notre fils était autiste. »
L’épée est tombée, et elle fait mal, très mal. Pendant un instant, le monde bascule. Ils revoient tous les rêves qu’ils avaient tissés pour leur fils, ils voient s’évaporer ces rêves. Ils regardent leur petit bout de chou ; il est dans son monde à lui, il est naïf, insouciant et ils ont peur, très peur.
« On avait tant de rêves ; qu’il allait poursuivre de grandes études, qu’il allait nous emmener faire une balade dans sa voiture, qu’on allait le conduire à l’autel pour son mariage, qu’il ferait du sport avec son papa… Voilà que tout tombait à l’eau. On avait tellement peur pour notre petit garçon. »
La lueur d’espoir semble s’éteindre. Ils semblent être dans un tunnel qui se referme. Que faire ? Ils savent que l’autisme, ce n’est pas une maladie qui se guérit. Ils savent que c’est irréversible, que leur bambin est condamné à vie. Ils continuent à faire des recherches, ils s’occupent de leurs enfants mais ils sont découragés. Pendant deux ans, ils basculent dans le noir.
Puis, ils se relèvent. Parce qu’il le faut. Nouvel espoir, nouveaux défis. En 2007 Géraldine réfléchit. Que peut-elle faire de plus pour son fils ? Que peut-elle faire pour d’autres parents qui, comme elle, sont aussi perdus ? L’idée se concrétise en 2009. L’association Autisme Maurice voit le jour. Ce n’est pas de tout repos. Mettre en place une association n’est pas facile, être mère d’un enfant autiste ne l’est pas non plus :
« Oui c’est difficile. Il faut être tout le temps à ses côtés, il ne parle pas, il faut pouvoir interpréter ses besoins… Il y a beaucoup de pertes matérielles ; en deux ans nous avons acheté 4 télés, il casse les téléphones, les tablettes, il griffonne sur les rideaux… Il y a des choses qu’il ne mange pas ; Evans ne mange aucun fruit local… Cela peut sembler compliqué mais on s’habitue. C’est notre enfant, on l’aime. »
Cet enfant n’est pas comme les autres. Il voit le monde différemment. Avec lui, Géraldine adopte aussi un nouveau regard. Avec lui, pour lui, elle franchit des obstacles :
« J’ai toujours été timide. Sur mes carnets de note de l’école, mes profs écrivaient toujours ‘very shy’. Puis je suis entrée dans la force policière, j’ai appris à vaincre ma timidité. Mais c’est après la création de l’association que j’ai dû prendre mon courage à deux mains, aller vers les gens, prendre la parole dans les conférences. J’ai fait des rencontres formidables… D’ailleurs je crois que j’ai rencontré tous les ministres de tous les gouvernements… »
Parce que son fils ne parle pas, Géraldine a dû faire entendre sa voix à elle. En 2012, elle quitte son emploi pour se dévouer pleinement à l’association Autisme Maurice. Son but ? Encourager d’autres parents à persévérer comme elle :
« Je savais qu’on allait être plus fort ensemble. Je tiens aussi à préciser que beaucoup de parents sont ignorants et qu’il y a certains ‘professionnels’ qui prennent avantage de cette ignorance. Ils prétendent pouvoir établir un diagnostic, proposer des solutions. Un diagnostic d’autisme ne peut pas être posé par une seule personne. C’était ça le but de l’association ; rendre l’information et le soutien plus accessibles. »
Au début, l’association compte seulement 6 membres et une douzaine de parents. Aujourd’hui, elle en compte une centaine. Un véritable parcours. Pendant ce temps Evans grandit. Agé aujourd’hui de 12 ans et demi, il est plutôt autonome ; il comprend les instructions verbales, il peut prendre son bain et se brosser les dents, il peut se préparer un goûter simple (du pain, du beurre et du fromage, par exemple)… Des choses apparemment anodines, simples mais qui comptent beaucoup pour Géraldine :
« Certaines personnes pourront trouver ces gestes banals mais pour nous cela compte beaucoup. Nous sommes réalistes ; nous n’avons pas des rêves exagérés pour notre fils mais nous voulons qu’il soit autonome. Je rêve d’un jour où je pourrais sortir et le laisser seul à la maison. Je rêve d’un jour où il y aurait un centre qui pourrait accueillir Evans s’il arrive quelque chose à moi et mon mari. Parce que là, s’il nous arrive quelque chose, il ira dans un foyer ou alors, il ira directement au Brown Sequard. »
Voilà ce que déplore Géraldine. L’absence de structure pour accueillir ces personnes qui, eux aussi, sont des citoyens de notre ile. Le manque d’informations, de sensibilisation ; on parle du diabète, du cancer mais pas suffisamment de l’autisme. Le regard des autres, un regard blessant, cruel par moments. Tant de choses que Géraldine voudrait changer. C’est difficile, elle sait qu’elle ne peut pas tout faire. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle se résigne, ce n’est pas pourtant qu’elle baisse les bras. Ils ont trouvé la lumière au bout du tunnel, la lueur d’espoir s’est rallumée. Un fils autiste oui. Un fils spécial, innocent, bienveillant.
« Evans ne connait pas les différences de race, de couleur. Pour lui, tout le monde est pareil. S'il cherche à s’éloigner d’une personne, ce sera à cause de l’attitude de cette personne et rien d’autre. Finalement, c’est un enfant comme les autres et tout comme moi je l’aide tous les jours, lui aussi m’a aidé. A surmonter des obstacles, à voir les choses différemment. Finalement, ce qui, au début me semblait être un obstacle m’a ouvert de nouvelles portes. Et parce que je suis très croyante, je sais que cette force qui m’anime ne vient pas uniquement de moi. Je ne baisserai jamais les bras. »
Un obstacle devenu un tremplin. Une femme ordinaire devenue une battante. Pour son fils ; un garçon différent qui vit sa vie, qui ne fait mal à personne, qui a droit au bonheur. Un garçon qui a droit à une vie digne et aux opportunités. Prenons le temps de saluer ces enfants et ces parents qui, malgré les contraintes ne se résignent pas, ne se plaignent pas mais agissent. Et qui arrivent à trouver la lumière au bout du tunnel.
Pour faire un don à l’association Autisme Maurice, visitez leur site web ou appelez le 465 3120.