« Ne mettez pas nos noms s’il vous plaît. Aujourd’hui mon petit garçon est heureux, il va à l’école… Les gens qui l’entourent ne doivent pas forcement connaitre son histoire… Il est encore petit et puis, c’est le passé et ce n’est pas de sa faute. »
Nous les appellerons Shalini et Kevin. Et oui, le petit Kevin n’y est pour rien. Il ne choisit pas de naitre dans la pauvreté absolue. Il a peur du noir, il a faim ; il ne comprend pas que chez lui il n’y a pas d’électricité, pas de nourriture. Il ne sait pas encore que papa a quitté maman, qu’il ne reviendra jamais.
Shalini : «La mère de Kevin était naïve ; les hommes ne faisaient que passer du bon temps avec elle. Ils lui faisaient un enfant et ils se sauvaient. Kevin était son quatrième enfant. Elle avait déjà beaucoup de mal à s’occuper de ses trois autres filles ; Kevin était complètement négligé. Ils habitaient une petite maison pourrie à côté de nous et je voyais ce bébé souffrir tous les jours.»
Le bébé d’un mois est livré à lui-même. Il dort par terre, il est malade, il est sale. Ses couches ? Des morceaux de drap. Ses compagnons de jeux ? Des rats.
« Depuis sa naissance, on ne changeait pas ses couches, il restait dans les couches trempées. Lerat ti fini koumens mord so ban ti ledwa… Puis il y avait du sang dans ses selles. J’ai eu peur pour cet enfant, je l’ai emmené chez le médecin. Il a dit que Kevin souffrait de dysenterie. Au début j’apportais des couches, du lait pour lui. Puis, un jour j’ai demandé à sa mère de le laisser dormir chez moi. Elle a accepté. Kevin avait 2 mois. »
Kevin vit chez Shalini. Les liens se tissent. Elle s’attache à ce petit bout de chou aux grands yeux innocents. Shalini est machiniste, elle ne gagne pas beaucoup mais avec le peu qu’elle a, elle va le nourrir, l’aimer.
« A 6 mois, il était gaillard, linn vine cocass net ! (rires) Là, sa mère a voulu le reprendre. J’avais bien expliqué que je ne lui vole pas son fils, je ne fais qu’aider. Elle voulait que je lui rende son enfant, je n’ai pas persisté. »
Mais l’univers a d’autres desseins. Tout se met à nouveau en place pour réunir Shalini et Kevin. Le grand-père maternel de Kevin demande à sa fille (mère de Kevin) de retourner l’enfant à Shalini, les propriétaires de la maison où habitent la mère de Kevin leur demande de vider les lieux, les autorités apprennent que le petit Kevin et ses sœurs sont négligés, qu’ils vivent dans des conditions dangereuses… La CDU intervient.
« La CDU est venue et est partie avec les enfants. Mais comme les autorités savaient que Kevin a déjà vécu avec moi, elles m’ont proposée de l’adopter. Je n’ai pas réfléchi deux fois ; j’ai fait les démarches nécessaires. »
Kevin a maintenant une maman, un papa, une grande sœur d’une vingtaine d’années. C’est un enfant comme les autres. Il a des jouets, une bonne alimentation, un foyer et surtout beaucoup d’amour. Mais les séquelles sont là. Alors qu’il n’était qu’un fœtus, cet enfant a connu le manque. Le manque laisse des marques. Shalini remarque que son petit bonhomme n’a pas de testicules ; elle l’emmène chez le médecin, on opère Kevin mais elle apprend que son fils n’aura jamais d’enfants. Elle veut qu’il ait une bonne éducation, elle l'envoie à l’école; son fils a des troubles d’apprentissage et doit aller dans une école spécialisée. Elle fait les démarches. Elle paie l’école, le transport. Elle fait une demande auprès de la sécurité sociale pour une allocation, mais parce que son fils ne souffre pas d’handicap elle ne perçoit rien.
Mais ce n’est pas grave. Elle arrive à nourrir et à éduquer son enfant. Elle est machiniste dans une usine, son mari est soudeur et pêche de temps en temps. Leurs moyens sont limités, mais le peu qu’ils ont est suffisant :
« Dieu m’aide. C’est lui qui a envoyé Kevin chez moi et je sais qu’il m’aidera toujours. Evidemment, mon mari et ma fille adorent Kevin. Ensemble, on s’en sortira. »
Elle persévéra. Pour donner à ce fils la vie qu’il mérite. Shalini ne sait pas lire et écrire mais elle a pu envoyer sa fille à l’université. Shalini n’a pas eu une enfance heureuse mais aujourd’hui, le petit Kevin âgé de 7 ans court et joue gaiement chez elle. Tout ce qu’elle n’a pas eu, elle le donne à ses enfants :
« Je suis moi-même un enfant adopté et j’ai eu une enfance difficile. Je ne peux pas voir souffrir les enfants. Si j’avais les moyens, j’adopterais volontiers encore quelques enfants. Mais déjà là, ma famille et moi faisons de notre mieux pour Kevin. Il adore la musique ; j’espère pouvoir payer des cours de musique pour lui bientôt. Je suis fière de mon petit garçon.»
Shalini a expliqué au petit Kevin qu’il a deux mamans. Parce que comme elle l’a dit, elle n’a jamais voulu voler l’enfant d’autrui. Elle ne fait qu’aimer et donner. Inconditionnellement. Pour que son petit garçon ne soit pas jugé pour son passé, elle ne dévoile pas son nom. Elle n’a pas besoin qu’on sache qui elle est, elle n’a pas besoin de reconnaissance ; elle a la satisfaction de bien faire et de donner de l'amour, car de l'amour elle en a tellement.
Oui, même aujourd’hui dans notre ile dite moderne il y a encore des gens qui vivent dans la précarité et la pauvreté, il y a des petits ‘Kevin’ qui dorment le ventre vide. Mais il y a aussi des femmes comme Shalini ; des personnes simples, ordinaires qui font des choses extraordinaires.