C’est une histoire comme tant d’autres. Elle est jeune, elle tombe amoureuse d’un homme, elle l’épouse puis survient la désillusion. Le mari travaille quand il veut, il a penchant pour l’alcool, il est violent.
« Je me suis mariée à l’âge de 18 ans. C’est vrai que j’étais naïve mais eux aussi avaient bien caché leur jeu. Avant, ils étaient tous gentils. Ce n’est qu’après le mariage que j’ai vu les facettes cachées de cette famille et de mon mari. »
Les promesses d’amour laissent place aux injures, aux coups. Au début, elle habite chez la belle-mère. La belle-mère, la belle-sœur… tout le monde s’y met pour la maltraiter. Elle est seule contre tous. Parfois, le mari travaille et rapporte de l’argent à la maison. La plupart du temps il dépense son argent pour s’amuser et acheter de l’alcool. Lui, mange chez sa mère. Elle, est souvent laissée à elle-même. Lorsqu’elle pense que cela ne peut être pire, elle tombe enceinte. Durant toute sa grossesse, elle est malade. Elle passe ses journées à vomir. Elle souffre ; mentalement, physiquement. Son courage s’amenuise.
Mais elle accouche d’une petite fille. Elle regarde ce petit être et se dit ‘plus jamais.’ Sa fille ne souffrira pas comme elle. Sa fille sera éduquée, indépendante. Elle ne connaitra pas la misère. Sandrine retrouve une raison de vivre. Elle fera de sa fille une personne épanouie et intelligente, que personne ne pourra dominer.
Ils louent une maison. Puis ils partent habiter chez la mère de Sandrine. Le mari est toujours aussi froid et irresponsable. Elle peut dormir le ventre vide mais pense à son enfant. Cette petite femme autrefois choyée et renfermée se met à quémander du travail.
« Monn apran zis ziska sizieme. Je savais que cela n’allait pas être facile de trouver du travail. Je me suis mise à chercher du travail comme bonne. Et avant, chez mes parents, on avait une vie plutôt facile. Je n’allais même pas à la boutique. C’était difficile de sortir, de demander aux gens de me donner du travail. Mais il fallait le faire et je l’ai fait. »
Les choses changent. Elle travaille, elle met au monde un deuxième enfant, un fils. Depuis qu’elle travaille et qu’elle habite chez sa mère, son mari ne lève plus la main sur elle. Mais les problèmes ne s’arrêtent pas.
« Même lorsque j’habitais chez ma mère, les proches de mon mari venaient, buvaient, faisaient du désordre chez moi. Je rentrais épuisée après une journée de travail, je retrouvais mon mari, ivre, affalé quelque part, la maison sentait l’alcool et la cigarette. Je nettoyais. Je ne disais rien. Je préférais préserver mon énergie pour travailler et prendre soin de mes enfants. Mais parfois je m’asseyais et je pleurais. Je priais, je demandais au Bon Dieu de me donner le courage. »
Lorsque son mari refuse de payer l’école maternelle pour sa fille, Sandrine comprend déjà que c’est à elle de s’occuper de l’éducation de leurs enfants. C’était comme-ci ces enfants n’appartenaient qu’à elle. Ce n’est pas grave, se dit-elle. C’est déjà elle qui fait les courses, paie les factures… Elle peut très bien éduquer ses enfants toute seule. Elle travaille chez 23 personnes à la fois, elle ne baisse pas les bras, elle prie. Les efforts paient.
« Ma fille a pris part aux examens de la CPE et elle était classée. Vous imaginez ? Quelle fierté ! Elle a eu le collège Lorette de Rose-Hill. Mais là aussi mon mari était catégorique. Pourquoi envoyer notre fille au Lorette de Rose-Hill ? Cela ne servait à rien. Il voulait l’envoyer dans un collège de l’endroit pour ne pas payer le transport. A l’époque le transport gratuit pour les étudiants n’existait pas. »
Elle prend une décision un peu invraisemblable. En cachette, elle ira faire des démarches d’admission pour sa fille. Cela peut paraître sans importance mais pour cette femme naïve et timide, c’est une grande décision. Elle n’a pas trop l’habitude de sortir, elle ne sait même pas où se trouve le collège St Mary’s où doit se faire l’admission. Encore une fois elle demande au Bon Dieu de l’aider. De manière surprenante, les choses se mettent en place.
« Ma patronne m’a demandé de sortir de chez moi comme si je venais travailler. Puis, chez elle, je me suis changée. Sur un bout de papier, elle a fait un plan de Rose-Hill pour m’expliquer où passer. Elle m’a donné un sac. Dedans il y avait un pain, une bouteille d’eau, une pomme et un paquet de biscuits. Lorsque je suis arrivée à la gare de Rose-Hill, un enseignant de ma fille m’attendait. Il m’avait dit qu’il allait être là pour m’aider, il m’avait même donné l’argent pour le transport mais je n’étais pas sûre qu'il allait vraiment venir. Finalement tout s’est bien passé. »
Lorsque le mari apprend que sa fille a été admise au Lorette, il la met au défi : ‘Ein mo guete kuma to pu fer pu paye transpor’, lui dit-il. Il est persuadé qu’elle n’aura pas suffisamment d’argent. Elle va lui prouver le contraire. Contre vents et marées, elle éduque ses enfants. D’autres bons samaritains apparaissent au moment approprié pour l’aider. Il y a aussi quelques opportunistes qui cherchent à prendre avantage de sa situation. C’est un parcours ; il y a des hauts des bas qu’elle accepte. Les sacrifices, elle les accepte aussi. Pas de célébrations pour le nouvel an, pas de nouveaux vêtements.
Mais elle réussit. Sa fille termine ses études secondaires et travaille aujourd’hui dans la comptabilité. Son fils termine ses études secondaires et va à l’université. Elle fait aussi de son fils un homme responsable. Lui, contrairement à son papa, ne boit pas, ne fume pas. Ses enfants n’ont pas seulement réussi sur le plan académique, ils ont de bonnes valeurs et ils adorent maman. Un véritable success story. Une histoire qui surprend son mari aussi bien que les proches de ce dernier. Ceci est l’histoire de Sandrine. Une histoire de persévérance. Son mari a été injuste envers elle mais elle n’a pas voulu rendre le mal par le mal.
« Monn dir laisse bondie fer so travay. Si mo mari antor beh li ava payer. Mwa monn zis fer ceki mo kav. »
Son mari fait un AVC, il est aujourd’hui paralysé. Elle s’occupe de cet homme qui, autrefois, lorsqu’il était jeune et fort, levait la main sur elle. Aujourd’hui, il est lui aussi fier de ses enfants. Il est juste un brin jaloux ; il voit très bien que ses enfants sont plus attachés à leur mère. Aujourd’hui elle ne reproche rien à personne. Elle nous partage même son histoire sous le couvert de l’anonymat pour ne pas embarrasser sa belle-famille. Aujourd’hui, pas d’amertume. Juste la satisfaction d’avoir persévéré et d’avoir vu réussir ses enfants.
Je connais tant de jeunes qui prennent les études pour acquis. On part à l’école ou à l’université, parce qu’il faut le faire. Je connais aussi beaucoup de gens qui s’intéressent à ce que font les célébrités, ou aux histoires sensationnelles. Et si on prenait le temps de regarder la petite dame qui travaille dans les champs ou qui est assise à côté de nous dans le bus ? Ban madam ki travay dan lakour dimoun, dan karo, dan lizinn. Des femmes qui persévèrent sans se plaindre, sans attendre que l’aide vienne d’ailleurs. Elles sont nombreuses, ces femmes, dan nu ti zil. Ce sont elles qui devraient nous inspirer.