Il y a quelques jours, nous avons publié le témoignage de Sarah. On lui avait dit qu’il fallait absolument qu’elle fasse une césarienne ; elle a accouché normalement sans épisiotomie dans la salle d’opération. Aurélie, elle, n’a pas eu cette chance. Pourtant, pour elle aussi, tout avait bien commencé.
En 2007, elle apprend qu’elle est enceinte pour la deuxième fois. Elle n’a pas les moyens d’aller chez un médecin privé mais ce n’est pas pour autant qu’elle se néglige. Consciente qu’il y a une petite vie qui grandit en elle, elle fait religieusement son suivi à l’hôpital. Elle se tient patiemment dans les longues files d’attente. Parfois, elle arrive à 9 heures et attend son tour jusqu’à 13 heures. Parfois, certaines infirmières sont désagréables mais ce n’est pas grave ; ce qui compte le plus c’est que sa grossesse se passe bien. Evidemment, à chaque fois, c’est un médecin différent qui la reçoit. Ils ne sont pas tous pareils mais souvent, ils sont pressés, froids. Mais elle suit à la lettre leurs recommandations.
Tranquillement, les mois passent. Le bébé va bien, la maman aussi. A 9 mois, elle est préparée. Elle sait que le jour de l’accouchement s’approche ; elle est ravie. Lorsque la poche d’eau se casse, elle est calme. Elle va à l’hôpital, persuadée que comme pour son premier enfant, elle accouchera normalement. Elle pense déjà à l’effervescence qu’aura lieu lorsqu’elle rentrera à la maison avec son bout de chou. Mais c’est là que débute le cauchemar.
On l’installe au labour ward et on lui fait faire un lavement. Parce qu’après le lavement, ses douleurs se calment, la sage-femme lui administre ce qu’elle appelle enn serom douler ; pour accélérer le travail. Un médecin vient, il examine toutes les femmes présentes dans le labour ward. Là, les choses s’embrument. Epuisée, elle s’endort. Lorsqu’elle se réveille, on lui administre un deuxième sérum. La douleur survient ; elle devient de plus en plus forte, de plus en plus intolérable. Elle se dit que ça y est, elle accouchera. Le médecin arrive. C’est un médecin qui l’a déjà vue avant, c’est aussi un médecin ‘réputé’ pour les césariennes. ‘Nou pou fer CS ar ou madam’, lui dit-il. C’est tout. Pas d’explications. Pas de consolation.
Elle est là, elle se tord de douleur et on lui apprend qu’on va lui couper le ventre, juste comme ça. Elle pose des questions mais on lui demande de se taire. Elle fond en larmes, elle dit ne pas vouloir faire de césarienne, on ne l’écoute pas ; on lui donne un formulaire à signer et on la rase pour l’opération.
« J’ai dit ‘non là je ne veux rien signer, j’ai trop mal, laissez-moi tranquille’ mais on m’a dit qu’il fallait absolument signer. Je ne savais plus quoi faire. J’étais là, seule, j’avais mal et eux, me pressaient de signer. Je voulais appeler à l’aide, je pensais à mon téléphone qui était dans le sac… Finalement j’ai cédé. Je n’avais pas vraiment eu le choix. »
Sentiment d’impuissance, sentiment d’humiliation. Elle est traitée comme une personne sans importance, qui n’a pas son mot à dire, même lorsqu’il s’agit de son propre corps. Elle se sent comme un objet que les autres manient à leur guise. Elle souffre, elle a peur mais personne ne voit, personne n’entend. Elle n’est qu’une femme parmi d’autres. Etrangement, toutes les femmes présentes au labour ward ce jour-là font une césarienne. Elles sont 3 ou 4. Le médecin a décidé qu’elles devaient toutes faire une césarienne.
Epuisée, ne pouvant plus subir la douleur, elle se laisse faire. Elle est bientôt dans la salle d’opération, tout se passe vite, on lui fait l’anesthésie ; elle est presque soulagée de s’endormir. Lorsqu’elle se réveille, elle a mal. Elle a mal parce qu’on lui a coupé le ventre, elle a mal à cause de la sonde urinaire qu’on n’a pas enlevée aussi. Elle se dit que toute cette souffrance aurait peut-être pu être évitée mais le mal est fait.
Elle retourne chez elle avec un goût amer dans la bouche. Au moins, son bébé va bien. Elle vient d’accoucher mais cette fois, la joie n’est pas au rendez-vous. Elle est juste soulagée de rentrer chez elle. Pourquoi n’avoir pas dénoncé ?
« Parce que c’est une cause perdue. Nous sommes des gens simples, lui c’est un grand médecin. Il faut chercher un avocat, dépenser son argent et son temps… »
Mais dès qu’elle a les moyens, elle prend une assurance médicale. Elle n'ira plus jamais à l’hôpital. Et elle accepte de nous accorder ce témoignage afin de mettre en garde les femmes :
« C’était en 2007, j’espère que les choses ont changé. Mais si c’est toujours le cas, je demande aux femmes de ne pas se laisser faire. Et aux docteurs, je demande de ne pas penser uniquement à l’argent. Je pense qu’ils sont payés plus lorsqu’ils font une césarienne mais qu’ils pensent aussi à nous, à nos séquelles. »