Je me souviens de l’époque où il n’y avait pas Facebook, pas de Wi-Fi, pas de chaines de radio privées ; que les chaines de la MBC. Mes parents et moi écoutions cool FM. Mon grand-père maternel, plus à l’aise avec le hindi et le bhojouri, était branché Taal FM. Les deux radios étaient tout le temps allumées ; lorsqu’il n’y avait plus d’électricité, elles marchaient avec des piles. Lorsque nous endentions cette ‘musique de cyclone’, ce fameux générique qui jouait sur toutes les chaines de la MBC, nous accourions pour augmenter le volume.
‘Enn warning cyclone class de en viger lor Moris’, ‘Un avertissement de cyclone de classe deux est en vigueur à Maurice’, A cyclone warning class two is in force in Mauritius’, ‘Mauritius mein darje do ki toofan chitawni jaari hain’… Le bulletin de la météo se succédait en plusieurs langues. Et comme nous, les Mauriciens des quatre coins de l’ile étaient collés à leur radio, le cœur battant. Pendant un moment, nous étions unis. Nous écoutions tous le même bulletin, avec la même anticipation et frayeur. Et lorsqu’après le bulletin, les animateurs énonçaient la liste des centres de refuge, je compris que cyclone rime aussi avec destruction et désolation. Qu’il y avait des personnes qui, en un jour ou une nuit perdaient tout ce qu’elles avaient mis des années à amasser. Je me souviens aussi des bougies, des biscuits et des macaronis que papa achetait à la boutique Ah Kong. Je me souviens du parfum de farata, de maman qui passait le ‘mop’ pour essuyer l’eau qui pénétrait la maison, de ce numéro de téléphone spécial qu’on composait pour écouter les anciens bulletins de la météo.
Ma maman elle, se souvient de l’époque où la maison n’était pas encore en brique. Il n’y avait pas d’électricité, le bois qu’on utilisait pour cuire au ‘foyer’ était mouillé ; on mangeait des biscuits avec du beurre ou on les trempait dans un peu de thé. Ma grand-mère maternelle était femme au foyer mais elle élevait des poules et vendait les œufs. Pendant le cyclone, certaines poules se perdaient, se noyaient et grand-mère pleurait. Le soir, alors que la maison en bois menaçait de céder, elle ne dormait pas. Les enfants dormaient. Son mari et elle, le cœur battants, restaient éveillés à prier et écouter le sinistre sifflement du vent.
Mon père lui se souvient de toutes les fois où ses neuf frères et sœurset lui restaient blottis l’un contre l’autre. Ils avaient peur pour les animaux ; souvent, ils hébergeaient une vache ou un bœuf dans leur bicoque. Mais lorsqu’elle cédait, ils devaient tout quitter : vaches, provisions, et maison pour se réfugier dans l’école la plus proche. Et même si cette période était fort désolante, elle encourageait aussi un élan de solidarité. Qu’on s’appelait Ali ou Ajay ou Antoine, on était animé par la même crainte. Et Ali n’hésitait pas à héberger Ajay chez lui. Ah Moy le boutiquier ne réfléchissait pas deux fois lorsque qu’Antoine venait lui acheter une boite de lait ou de beurre à crédit.
Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé. Les maisons sont plus solides, nous sommes plus informés. Pour les enfants, c’est surtout un jour de congé. Pour d’autres, un cyclone évoque surtout des souvenirs. Mais ceux qui ont connu la désolation ou la destruction qu’il engendre peuvent le haïr. Mais même si les choses ont changé, aujourd’hui les cyclones détruisent toujours les maisons, inondent toujours les champs et sèment toujours la destruction. Nous pouvons les aimer ou les haïr mais les cyclones nous rappellent que nous ne pouvons rien devant la volonté et les caprices de dame nature.