Imaginez un jeune homme arraché de sa terre natale, séparé des siens qui débarque à Maurice au 19e siècle. Appelons-le John. N’importe comment, ce n’était pas à eux de choisir leur nom. Ils n’avaient aucune identité, aucun droit. Il aura des chaines aux pieds, il sera marqué au fer. Une fleur de lys sur l’épaule, comme une étiquette sur une marchandise ; pour montrer qu’il est la propriété d’autrui. Il comprend très vite qu’il n’y peut rien, qu’il n’a rien fait pour mériter tant de souffrance mais que c’est ainsi ; certains êtres humains se considèrent supérieurs aux autres.
Il s’habituera au dur labeur. Pas de sick ou de local ; on travaille sous la pluie et le soleil. Lorsqu’il est fatigué et que le corps commence à céder, il est fouetté par missie blanc. Cela arrive aussi qu’il soit fouetté juste comme ça, parce que c’est permis. Au travail forcé et gratuit, il s’habituera très vite. Ce sont des esclaves comme lui qui, avant, avaient transporté toutes ces pierres sur le dos pour construire le bâtiment des Casernes Centrales, le Fort Adelaïde (la Citadelle)… Des générations d’hommes et de femmes ayant travaillé pour l’avancement de notre pays en ne recevant qu’exploitation et souffrance en retour. John travail alors que la sueur et le sang ruisselle le long de son corps.
Les propriétés et les propriétaires changent ; les supplices restent les mêmes. Il voit ses semblables crouler sous le poids de la souffrance. D’autres risquent leur vie pour se cacher sur la montagne du Morne. Ils savent que s’ils sont attrapés, ils seront fouettés, mutilés mais ils prennent le risque. Tout risquer pour goûter à la liberté. John les suivra. Le 1er février 1835, l’esclavage est aboli. Les soldats viennent au Morne pour leur annoncer la bonne nouvelle. Mais John et les siens, croyant que les soldats viennent les capturer, préfèrent se donner la mort. John se jette de la montagne ; il se dit qu’il vaut mieux mourir libre que de vivre enchainé.
Aujourd’hui, un descendant de John marche librement dans notre ile. Il marche la tête haute, il est éduqué, il gravit les échelons ; comme tout le monde. Evidemment, parfois il doit se frayer un chemin malgré le népotisme et le communalisme qui perdurent encore. Cela lui arrive de sentir qu’il n’a pas les mêmes moyens ou les mêmes ‘contacts’ que les autres ou de croiser des personnes qui abusent toujours de leur pouvoir. Mais le pire est derrière lui. A lui de se battre, dignement. A lui et à nous tous de faire des efforts pour nous libérer des autres choses qui nous enchaines ; de ne pas devenir esclave de la technologie, des apparences, du passé…
L’esclavage a été aboli, à nous de valoriser cette liberté et à nous libérer des autres chaines invisibles qui nous ligotent.