Une chose insidieuse qui détruit les familles, qui, d’un seul coup, transforme un homme respectable en un être monstrueux, méconnaissable :
« Mon mari n’est pas mauvais, il peut être un homme responsable, un père affectueux. Mais lorsqu’il est ivre, il se transforme, il devient comme un fou, comme un animal. Il n’écoute rien, il ne comprend rien. Il nous fait peur. »
Pourtant, il y a 12 ans, lorsque Rita rencontre cet homme, elle ne sait pas qu’il a un penchant pour l’alcool. C’est après le mariage qu’il commence à boire. Il se sent plus autonome, il a un bon emploi et un bon salaire ; chaque fin du mois une bonne partie de son salaire est dépensée dans la boisson. Le soir, il rentre ivre, il hurle, il brise des vitres…
« Komie fwa monn bizin ploy mo ti baba, sove al kashiet emba pie banann… Le bébé était traumatisé, il pleurait. Je devais l’emmener ailleurs. »
Le bébé a peur de cet homme qui sent l’alcool et qui crie. Lorsque l’enfant a un an, Rita est contrainte de faire admettre son mari à l’hôpital Brown Sequard.
« Je n’en pouvais plus, il était devenu incontrôlable, il brisait des vitres… Il pouvait se blesser et nous blesser. J’ai dû demander aux policiers de m’aider. Les policiers ont dû le menotter pour l’emmener à l’hôpital… »
A l’hôpital, il pleure, il dit que le traitement est trop pénible, il la supplie de le sortir de là.
« Une semaine après son admission, j’ai reçu un appel. Peut-être d’un autre patient de là-bas. Il m’a dit que si je ne fais pas sortir mon mari, il finira par mourir. J’ai eu peur. Saem erer monn fer, monn tir li. »
C’est le même cycle infernal. Dans un premier temps, il promet de changer. Il travaille, il s’occupe de son enfant puis dès qu’il a son salaire il redevient l’alcoolique méconnaissable. Ce n’est pas grave s’il n’a pas pu suivre le traitement de l’hôpital, se dit Rita. Elle l’accompagne chez un psychiatre.
« Dokter la inn dir li si li pa aret bwar li pu vinn fou ! Li ti gagn medsin pu bwar. Li ti koumans byen. »
C’est toujours la même histoire. Dans un premier temps, il affirme vouloir changer, il suit assidument son traitement. Puis il cède à la tentation. Il cache les comprimés, il recommence à boire.
« Après j’ai su qu' il ne buvait plus les comprimés, il les cachait sous une armoire… Que pouvais-je faire ? »
Depuis, les années passent et se ressemblent. Il rentre, ivre et brise les meubles et les objets. Puis, plus tard, il pleure, il s’excuse et promet de ne pas recommencer. Mais il recommence ; à chaque fois. Il perd son emploi. Parfois, il n’y a plus de nourriture dans la maison ; Rita et son enfant dorment le ventre vide. Rita commence à travailler comme bonne pour joindre les deux bouts. Pendant tout ce temps, leur enfant grandit. Que se passe-t-il dans la tête de cet enfant qui a vu son papa menotté et transporté au Brown Sequard ? Que se passe-t-il lorsque qu’il voit papa se transformer en quelqu’un d’incontrôlable ?
« Aujourd’hui mon fils a 11 ans. Même l’enseignante me dit que mon fils a l’air d’être un enfant traumatisé. C’est un enfant qui reste dans son coin, qui sursaute à chaque fois que quelqu’un le gronde. Et il aime son papa. Lorsque le père n’est pas ivre, ils s’enlacent et s’endorment. Même s’il veut s’acheter un bonbon il achètera un deuxième pour son père. A tel point il l’aime. »
Avec le temps, le courage de Rita s’amenuise. Elle est fatiguée de ces nuits blanches qu’elle et son enfant passent parce que son mari crie et les insulte toute la nuit. Elle est fatiguée de ces matins où elle doit ramasser les morceaux d’objets qu’il a brisés. Fatiguée aussi d’essuyer les larmes de son enfant ou de laver le matelas sur lequel le mari a fait ses besoins :
« Je le répète, lorsqu’il est ivre, il n’est plus humain… Il ne comprend rien. Il fait ses besoins dans le lit et c’est à moi de tout nettoyer, de le laver… Li pa fasil. Dan mo sey tini li em mo disk inn deplace… Là j’ai eu un problème de santé… Je n’ai plus la force, jusqu’à quand vais-je tenir le coup? »
Parce que maintenant, elle s’attend au pire. Depuis une semaine, elle est retournée chez sa mère. Il est difficile d’espérer :
« Depuis, nous avons essayé tant de choses… Rien ne marche. Monn fini panse pu met mo zanfan lor mo ser so nom, je me dis que s’il m’arrive quelque chose, ma sœur pourra adopter mon fils… »
Mais quelque part en elle, il reste toujours une minuscule lueur d’espoir. Il doit, quelque part, avoir quelqu’un qui pourra leur aider :
« Tout ce que je pouvais faire, je l'ai fait, je suis fatiguée. Mais il doit y avoir une solution. J’ai lu tant de témoignages d’anciens alcooliques ou drogués qui ont changé. Peut-être qu’un de ce ex alcooliques ou l’un de leurs proches pourrait soutenir mon mari ?
Peut-être que quelqu’un a une autre solution pour le corriger, fer li revinn dimoun ? Parce que je ne sais plus où donner la tête, je fais appel aux conseils des autres. Mon fils et moi ne demandons pas beaucoup. Nous voulons juste vivre en paix. »