Docteur, recevez-vous beaucoup de patients souffrant de troubles bipolaires ?
Nous en avons pas mal, oui. Je n’ai pas les statistiques mais je sais que c’est un trouble assez présent à Maurice.
Qu’est-ce que les troubles bipolaires ?
Nous avons tous des variations d’humeur. Lorsque nous avons réussi à un examen, nous avons gagné à la loterie ou avons accompli quelque chose, nous sommes heureux, euphoriques et débordons d’énergie : nous avons confiance en nous et pensons que nous pouvons tout accomplir. Lorsque nous apprenons une mauvaise nouvelle ou sommes confrontés à une séparation ou un deuil, nous sommes tristes, rien ne nous intéresse. Nous n’avons pas d’énergie et ne voulons rien faire. Chez une personne qui se porte bien, ces sentiments d’euphorie ou de déprime ne durent pas éternellement ; après un certain temps, il y a un retour à la normale. Chez la personne bipolaire, ces phases de tristesse et d’euphorie perdurent anormalement et s’alternent.
Pouvez-vous élaborer sur les phases de dépression et d’hypomanie ?
Oui. Il s’agit de deux extrêmes. Lorsque les sentiments de tristesse et de désespoir durent pendant plus de 2 semaines nous pouvons déjà évoquer la dépression. Durant la phase dépressive le patient n’a pas confiance en lui, a du mal à sortir du lit et accomplir des tâches ordinaires, se culpabilise, n’a aucune énergie… Il peut aussi avoir des idées suicidaires.
Lors de la phase d’hypomanie, il devient extrêmement confiant et a des idées de grandeur délirantes. Il a des excès d’énergie et veut tout accomplir à la fois. Il fait des dépenses inutiles, est à la recherche de sensations fortes et peut se mettre en danger. Il devient très bavard et passe souvent d’une tâche à une autre sans pouvoir les compléter.
Est-ce facile de poser le diagnostic ?
C’est un diagnostic qui se fait dans le temps. Souvent, le patient vient lorsqu’il est dépressif. Nous prescrivons des antidépresseurs et il y a un virage de 180 degrés ; il passe en phase d’hypomanie. Là nous savons que nous avons affaire à un patient bipolaire. Un patient peut rester dépressif pendant deux ans avant de passer en phase d’hypomanie.
En quoi consiste le traitement ?
Ces troubles surviennent lorsqu’il y a un débalancement au niveau des neurotransmetteurs. Donc, nous prescrivons des régulateurs d’humeur ; de la Lithium ou des antiépileptiques comme la Depakine. Ce sont des médicaments performants.
Les patients suivent-ils volontiers le traitement ? Nous supposons qu’un hypomane ne voudra pas forcement ‘guérir’…
Oui. Déjà, lorsqu’il est dépressif, le bipolaire est si désespéré qu’il est persuadé qu’aucun traitement ne pourra l’aider. Lorsque survient l’hypomanie, il n’a pas conscience d’être malade. Souvent lorsque les régulateurs d’humeur le ramènent à la ‘normale’, il est déçu ; il recherche l’euphorie précédente. Là, il y a tout un travail à faire ; la coopération des proches est primordiale. Mais les gens bipolaires sont aussi des gens intelligents : ils finissent par prendre conscience de la situation.
Trouvez-vous qu’en général les patients sont toujours réticents à venir chez le psychiatre ?
Oui. Déjà une personne qui ne va pas bien mentalement n’arrive pas à raisonner correctement. Comme je l’ai dit, une personne dépressive pense que la situation est sans issue. Elle peut se culpabiliser… J’ai déjà eu un jeune qui souffrait aussi de délires, qui était persuadé que tout ce qui va mal dans le pays est de sa faute. Convaincre une telle personne qu’un traitement pourra l’aider est difficile. Idem pour les autres cas. Souvent la personne ne réalise pas qu’elle est malade, elle persiste, elle devient violente…
Et puis, il y a aussi toujours les tabous associés aux troubles mentaux et à la psychiatrie…
Ces tabous perdurent-ils ?
Les tabous diminuent mais sont toujours présents. Plus de personnes viennent vers nous de leur propre gré. Mais beaucoup hésitent encore… Ils ont honte, ils pensent à tort que les médicaments entraineront de la dépendance…
Les tabous perdurent aussi chez les parents. Si leur enfant doit suivre un traitement au Brown Sequard, ils ont peur du regard des autres. Ils ont peur que les autres proches ou voisins le traite de fou…
Pourtant le Brown Sequard est un hôpital comme les autres, les problèmes mentaux sont des problèmes de santé comme les autres…
Effectivement. Lorsqu’un généraliste vous prescrit un traitement, vous le suivez sans poser de questions. Tout comme le corps, le cerveau peut aussi être déstabilisé. Une dépression, une manie, une anxiété pathologique… ce sont des maladies comme les autres qui se traitent.
Avez-vous un message pour ceux qui, justement, souffrent en silence et hésitent à demander de l’aide pour un quelquonque trouble mental ?
Oui, cela peut vous sembler impossible mais vous pouvez aller mieux. N’hésitez pas, n’ayez pas peur de demander de l’aide. Vous pouvez vous sentir mal, vous pouvez vous culpabiliser… En réalité vous n’êtes pas coupable, vous êtes juste malade. Et les maladies se soignent. Il existe des thérapies, des médicaments pour tous les troubles… Les psychiatres sont aussi dans les hôpitaux, dans les Area Health Centres…
Même si vous pensez que ce n’est pas très grave mais êtes d’avis que vous avez besoin de soutien, vous pouvez voir un généraliste. Il saura s’il faut vous référer vers un psychiatre.
Avez-vous un conseil pour nos lecteurs en général ?
Si l’un de vos proches, collègues ou amis change tout à coup de comportement ou se renferme, abordez la personne et demandez-lui s’il a un souci… N’hésitez pas à susciter l’aide d’un professionnel si l’un de vos proches semble aller mal. Mettez de côté les tabous et préjugés et essayez de l’aider.