En 2006, Marie est une femme comme les autres qui sourit à la vie. Sa famille habite à Rodrigues. Elle est enseignante et habite avec son mari à Maurice. Puis le calvaire commence : lentement et vicieusement. Il commence par des plaques rouges brûlantes sur les pieds. Puis apparaissent les douleurs. A l’hôpital, on la traite pour des rhumatismes. Des toux persistantes et des troubles respiratoires surviennent. Elle se tourne vers une clinique privée, on lui administre un traitement contre l’asthme. Mais elle voit son état s’empirer. Aux souffrances physiques s’ajoute le supplice mental : que se passe-t-il dans son corps ? Elle dépense tout son temps et tout son argent à faire des tests mais ses questions restent sans réponses.
En 2011, le parent d’une de ses élèves l’emmène chez un médecin, une Française :
« Elle m’a posé des questions, a analysé les résultats des examens médicaux et était alarmée de voir à quel point mon taux de globules blancs était bas. Elle m’a dit que je souffrais d’une maladie systémique mais qu’il existe plusieurs types de maladies systémiques et qu’il fallait creuser plus et faire d’autres examens pour savoir de quelle maladie il s’agissait.
Elle m’a donné une lettre que je devais remettre au médecin qui me suivait à la clinique. Nous avons fait d’autres tests ; tests de sang, scans… mais on ne m’a pas parlé de lupus. Je partais toujours chez ce médecin, je lui payais toujours Rs 1000 pour chaque consultation mais il n’a jamais pu me donner une réponse claire sur ce que j'avais. »
Elle se sent impuissante. La doctoresse française lui avait expliqué que la maladie systémique pouvait être grave, voire mortelle. Mais que faire ? Vers qui se tourner ? Elle voit s’amenuiser ses forces, son corps céder, elle lance des appels à l’aide dans le vide. Rien. Personne ne semble pouvoir l’aider. Le corps meurtri de douleurs, elle essaie d’avancer, de chercher une réponse. En 2013, elle se rend à une autre clinique. Le médecin de la clinique évoque le lupus et lui donne une lettre pour qu'elle soit admise à l’hôpital en toute urgence. Pendant longtemps, le flou perdure ; on parle de maladie auto-immune non identifiée. Finalement, après beaucoup de tests, le diagnostic tombe : elle souffre effectivement de lupus. Enfin elle sait de quoi elle souffre. Mais ce diagnostic n’apporte aucun soulagement. On lui apprend que pendant tout ce temps, la maladie a eu le temps de se développer dangereusement. Elle risque de perdre l’usage de ses jambes :
« Lorsque j’ai commencé le traitement à l’hôpital Jeetoo, j’ai eu affaire à de bons médecins. Mais ils étaient persuadés que je ne pourrais plus marcher. Je ne voulais pas y croire mais je voyais que mes jambes n’avaient plus de force. »
Elle sombre dans un gouffre. Elle a peur, elle a mal et son mari ne comprend pas. Il la délaisse, il s’impatiente. Il exige des choses d’elle. Lorsqu’elle lui explique qu’elle ne peut pas, qu’elle n’a pas la force, il s’irrite et la bat. Malade et en piteux état, elle devra se rendre au poste de police pour avoir un protection order. Il finira par la quitter pour une autre.
Elle est toujours dans un gouffre, elle souffre et elle est seule. Les séjours à l’hôpital deviennent de plus en plus longs. Parce qu’elle a la santé extrêmement fragile, elle doit être isolée dans une petite cabine. On lui administre 8 injections d’antibiotiques par jour. Les effets secondaires des médicaments sont virulents. Elle grossit aussi, elle se regarde dans le miroir et ne reconnait plus cette femme gonflée et abattue. Quelques années passent péniblement. Elle commence à avoir des problèmes de vue. Elle se demande si elle finira aveugle et invalide.
Puis, en 2016 sa maman vient la voir à l’hôpital :
« Ma famille venait souvent me rendre visite. Là ma maman m’a murmuré à l’oreille, elle m’a dit ‘oublie cet homme (ndlr : son mari) et bas-toi’. Et j’ai décidé de me battre. J’ai décidé que je retrouverais mes forces et l’usage de mes jambes. »
Débute un combat. Elle commence par voir les choses telles qu’elles sont. Oui, elle souffre d’une maladie auto-immune très grave mais elle peut se battre :
« Ne pas vivre dans le déni et accepter la maladie est déjà une étape importante. Nous ne pouvons nier le fait que la souffrance est là. Mais si la maladie est possible, la guérison l’est aussi. J’ai décidé de tout faire pour pouvoir marcher de nouveau. J’avais la foi, j’y croyais. »
Elle voit aussi clairement le vrai visage des gens qui l’entourent. Lorsqu’elle n’avait plus de forces, son mari l’a malmené avant de l’abandonner. Il y a aussi eu des personnes vers qui elle s’était tournée mais qui, au lieu de l’encourager, l’ont abaissé, découragé. Mais il y a aussi eu toutes ces personnes, certaines des proches, d’autres des étrangers qui ont tout fait pour elle et qui ont cru en elle :
« A l’hôpital Jeetoo, certains de mes ex élèves étaient infirmières et médecins. Même ceux qui ne me connaissent pas ont tout fait pour minimiser ma douleur. J’ai eu des médecins compatissants qui étaient toujours à l’écoute. J’ai eu un physiothérapeute qui croyait en moi, qui me félicitait à chaque fois que je faisais des progrès. Tous les membres du personnel étaient prévenants ; parce que chaque petite bactérie pouvait me faire du tort, ils prenaient même la peine de plastifier ma nourriture…
Puis il y avait les collègues, les élèves, ma maitresse d’école. Ma maitresse d’école m’avait même hébergée chez elle pendant un certains temps. J’ai compris que ces personnes-là étaient celles qui m’aimaient vraiment. Evidemment, il y a avait aussi ma famille. Et il y avait ma foi immense en Dieu. La foi est extrêmement puissante. »
Ses jambes retrouvent lentement leurs forces. Péniblement, elle essaie de sortir de son gouffre et d’avancer vers la lumière. Elle y croit, elle y arrive :
« Au début, je marchais à l’aide d’un ambulateur. Lorsque je suis sortie de l’hôpital, j’allais au travail avec mon ambulateur et une prothèse au cou. Tous mes collègues et élèves étaient encourageants et compréhensifs. »
Elle prend soin d’elle, elle prie. Chaque jour, elle se dit qu’elle peut marcher. Elle remplace l’ambulateur par des béquilles. Puis, elle met de côté les béquilles, elle fait un pas, puis deux, puis dix.
« Je me souviens toujours de la première fois que je suis allée travailler sans les béquilles. Je marchais lentement puis il a commencé à pleuvoir et j’ai couru. Imaginez la surprise de mes collègues lorsqu’ils m’ont vu courir ! (rires) Tout le monde s’exclamait ! »
Oui, contre toute attente, elle a pu marcher. Grâce à son courage, sa foi et le soutien des autres. Elle a pu sortir du gouffre. Evidemment, le combat est perpétuel mais elle est armée d’une force nouvelle :
« Il y a beaucoup d’autres complications. J’ai dû m’envoler pour l’Inde pour faire des examens et ces examens avaient des effets secondaires. En début d’année une simple piqûre de moustique a engendré la formation d’un abcès et j’ai dû me faire opérer le bras. J'ai aussi eu un abscès sur la colonne vertébrale qui a nécessité une chirurgie. Là, j’ai des problèmes à l’oreille. Donc, les problèmes ne s’arrêtent pas mais je persévère. Des fois je peux rester au lit pendant 5-6 heures puis je me lève et je prépare mon dîner. »
Elle habite seule et cela lui convient. Cela lui a permis de voir que le peu de force qu’elle a lui suffit. Elle est malade mais indépendante. Elle a retrouvé son poids normal et sa joie de vivre. Elle est devenue plus compatissante envers les malades :
« Je pense aussi à toutes ces personnes, souvent jeunes qui sont mortes de la maladie. Certaines sont peut-être mortes sans savoir qu’elles souffraient de lupus. D’autres n’avaient aucun soutien.
J’ai une amie qui avait le rein complètement endommagé par le lupus. L’aide que nous avons eue du ministère n’était pas suffisante. J’ai dû prendre les papiers moi-même aux casernes pour organiser une levée de fonds.
Nous avons l’impression d’être seuls contre le monde. Les gens ne nous comprennent pas, ils ne connaissent pas notre maladie. Avant, lorsque mon système immunitaire était complètement affaibli, je devais porter un masque. Lorsque je voyageais dans le bus avec mon masque, on me regardait bizarrement, on ne s’asseyait pas à côté de moi. Ça faisait mal…
Nous avons un petit groupe sur Facebook et nous nous soutenons mutuellement. Nous faisons ce que nous pouvons.
Entre temps, je demande à ceux qui se battent contre la maladie de ne pas baisser les bras. Surtout gardez la foi ; la foi est plus forte que tout. »
Tous les jours, à vieux Grand Port, une femme se lève et sourit à la vie. Depuis 2006, beaucoup de choses ont changé pour elle. Elle a connu la souffrance, l’impuissance et la solitude. Elle s’est battue, elle a défié les pronostics médicaux et essaie aujourd’hui d’encourager les autres personnes souffrant de la maladie. Elle s’appelle Marie Noella Meunier, elle souffre de lupus et elle ne baissera jamais les bras.